L’expérience facebook : ou le jeu avec le stéréotype du geek.

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Bon cet article est trop long donc ne le lisez pas je le mets juste en ligne pour stocker mes reflexion.

 

Parfois, je doute. Je me dis qu’en utilisant trop le terme geek je vais masquer, ou construire une image d’une culture qui en fait est moins homogène qu’il n’y parait et que je tends à renforcer un stéréotype. C’est clairement un risque de mon travail, on pourrait pardonner aux médias de vouloir trouver « la tendance de la semaine », et donc de figer une image et des gens autour d’un concept hype qui passerait. Mais mon travail n’est pas là.

 

Bien sûr j’ai des gardes fous et je tiens au terme geek. J’ai des garde-fous parce que si j’observe au travers des médias, des blogs, des forums la constitution, la définition d’une culture, qui se veut culture geek, je vais aussi à la rencontre de vrais gens. Pas forcément ceux qui ont un blog ou qui parlent sur les forums, car ces derniers ont déjà un rapport participatif au média. C'est une démarche qui peut paraître anodine mais signifie qu’ils ont formulé un discours sur leur pratique, ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde. Je n’interroge donc pas que des gens qui se définissent comme geek, qui se pensent geek (cela étonne toujours les journalistes qu'on puisse rentrer dans les critères de la définition actuelle du mot sans se penser geek). Bien sûr selon les critères que moi j’ai définit comme pouvant rentrer sous le mot geek, ils le sont mais pour eux ce mot n’a pas toujours cette signification (certains le cantonnent à ce qui pour moi et pour les geeks hype est l’ancienne définition, c'est-à-dire les nolife nerds, fans d’informatique et de gadgets électroniques et donc évidemment ne peuvent s’identifier à cela). Quand j’interviewe un rôliste qui fait une école d’ingénieur, pratique le RPG sur console et voue un culte immodéré  à Star Wars ou au Seigneur des Anneaux, évidemment je le range mentalement dans la catégorie geek, même s’il n’utilise pas le terme. Les rôlistes par exemple, surtout les premiers,  n’ont pas attendu le mot geek pour se construire une identité culturelle et donc n’en n’ont pas besoin. Les générations plus anciennes (non j’ai pas dit vieux) ont tendance à parler de « genre de l’imaginaire » ou de « culture de l’imaginaire », si on admet que aujourd’hui cet « imaginaire » à tendance à surtout passer par les médias de l’image et les nouveaux médias et qu’il n’est  plus seulement littéraire et rôlistique (d’ailleurs Didier Guiserix pionner du jeu de rôles en France se dit geek lui-même avec quelques nuances puisqu’il repousse un peu les aspects péjoratifs du stéréotype qui selon moi se perdent un peu de toute façon mais c’est un autre débat) on parle bien la même chose. Le mot geek tel que je l’entends (passionné de nouvelles technologies mais aussi de mondes imaginaires fantastiques quel que soit le média) est plus connu et revendiqué par des gens plus jeunes (les petits frères des rôlistes sus-nommés, je ferais sûrement un chapitre de ma thèse sur l’importance du grand frère), c'est-à-dire des gens de ma génération nés dans les années 80.

 

Tout ça pour dire et pour répondre à des critiques qu’on me fait parfois, que je vais au-delà du stéréotype et du mouvement culturel institué comme tel. J’analyse pas seulement des représentations, des images mais aussi des pratiques réelles, et à la limite peut importe qu’on les appelle geeks ou non, l’important c’est qu’il y ait tout de même des redondances des régularités. Peu importe aussi qu’il n’y ai pas de sentiment d’appartenance à une communauté, à un mouvement culturel voire à une génération, si vous êtes fan de Alan Moore, que vous avez vu tout les Babylon V, et que Asimov ne vous fait pas penser à une marque de Vodka ça m’intéresse aussi ! (Référence à un film récent que je ne préfère pas nommer).

 

Mais je ne veux pas abandonner pour autant le mot geek et le stéréotype, déjà parce que même si le fait de parler « d’une culture geek » est artificiel, il reste qu’on en parle, et je ne vais pas l’ignorer parce que ça représenterai pas tout à fait une réalité où parce que certains qui ont grandit à une époque ou le terme était beaucoup plus péjoratif ne s’y reconnaissent pas. Il reste malgré tout que la plupart des gens que j’interroge se reconnaissent là-dedans, que les médias en parlent beaucoup et que le terme geek à une fonction sociale. Il permet au niveau des individus de lier des pratiques entre-elles et donc de construire de la cohérence à des univers culturels disparates. Comme ici n’est pas le lieu pour faire l’analyse de mes entretiens je vais prendre mon exemple personnel, qui est assez représentatif. Lorsque que j’ai découvert le mot geek (je connaissait déjà « l’ancienne acception » uniquement basée sur l’informatique, mais dois-je rappeler ici que aux Etats-Unis le terme a toujours englobé la part technique et la part culturelle et que donc si la part culturelle arrive en ce moment c’est simplement que le stéréotype retrouve sa totalité alors qu’il était amputé ici) en faisant une recherche sur la série x-files, il m’a fait revoir toute mon existence et lui trouver une cohérence presque déprimante.

 

Je n’avais jamais fais le lien entre le fait que j’étais fasciné par les mythologies antiques, l’occultisme, les romans de science-fiction, que je jouais au jeu Magic : L’assemblée, que j’adorais lire de la physique quantique vulgarisée, que je préférais les séries télévisées fantastiques… Et je n’avais jamais lu un comics ni un manga, ni joué à un jeu de rôles, mais j’ai réalisé en lisant les définitions du mot que ces médias estampillés geek m’avaient toujours attirés. En écrivant ces lignes je trouve presque ridicule de ne pas avoir vu des ponts entre mes pratiques mais les gens que j’interviewe me rassurent (oui une thèse c’est 90% de travail sur ses propres névroses), puisque moi même il m’arrive de leur dire des trucs du genre « ah ben on voit quand même une prédilection pour les mondes fantastiques dans tes loisirs », ou « tu fais un rapprochement entre le fait de faire du jeu de rôles et le fait que toi et tes potes soyez tous dans une école d’ingénieur informatique ? ». La réaction à ce genre de chose est généralement « ah tien maintenant que tu le dis, c’est clair que tout est un peu lié ». En faisant ça, en les faisant réfléchir sur leur pratique, en les obligeant à la réflexivité, je provoque finalement ce que le terme geek, -un fourre tout stéréotypé et artificiel certes- fait pour touts ceux qui avaient déjà fait le rapprochement avant que je leur fasse remarquer.

 

Alors quand je parle de cohérence soyons prudent, là aussi je ne voudrais pas dire que tous les gens que j’interroge sont entièrement cohérent du point de vue du stéréotype ou des critères généralement admis de geekitude, on à tous plusieurs appartenances culturelles plusieurs identités on déborde sur plusieurs cercles et plusieurs groupes. Il reste que le mot geek est un mot qui permet de faire lien, de provoquer une prise de conscience réflexive, de la proximité entre certaines pratiques (encore faut-il décrire ce qui fait ces liens évidemment). Je répète que je ne m’y arrête pas et que dire que j’étudie la culture geek est un moyen de ne pas dire que j’étudie « les fans de culture de genre multimédiatique contemporaine », ou «l'évolution contemporaine de la culture de l'imaginaire vers un univers transmédiatique intertextuel» mais je répète aussi que le mot est important parce qu’il n’est pas anodin, innocent et que l’engouement actuel pour lui est lié à la fois à une mode mais aussi à une prise de conscience réflexive générationnelle (et ceux qui ne connaissent ou n’utilisent pas le mot, ils sont rare tout de même mais bon, ça ne les empêche pas d’un point de vue sociologique d’appartenir à cette génération). Le fait qu'on utilise un mot américain pour parler d'une culture très anglo-saxonne (les éditeurs de livres de SF demandent à certains auteurs d'américaniser leur nom...), est aussi intéréssant, bref l'existence du terme et les utilisation qui en sont faites ne doivent pas être ignorées quitte à être analysées en partie de manière séparées des pratiques en tant que telles.

 

Pour revenir au début de cette réflexion, parfois j’ai des doutes, quand je me perds dans tout ce que recouvre le mot geek, quand j’ai l’impression d’en voir partout ou que j’ai l’impression de construire à priori une identité qui n’existe pas c'est-à-dire par mon simple regard et discours construire moi-même le phénomène que j’étudie (un acte performatif dirait-on en sciences humaines). C’est en partie le cas forcément, je ne le nie pas, quand je définie le terme dans des articles, à partir des définitions observées sur les forum ou blogs ou dans les interview, je contribue à figer une identité mouvante qui parfois ne renvoie plus à rien (post-moderne), mais en être conscient permet de déconstruire aussi cet effet collatéral de la recherche. Quand je suis perdu, quand je me dis que ce que j’appelle geek ne renvoie plus à rien et que tout ce que je pense n’est basé  que sur du stéréotype qui se renforce, je cherche à me rassurer.

 

Je relis les travaux de certains chercheurs, ceux qui disent que les lecteurs de science-fiction sont en majorité des hommes, urbains, diplômés, plutôt en sciences, tiens mais cet autre chercheur dit la même chose des joueurs de RPG, tiens mais cet autre chercheur dit la même chose du jeu de rôles…ne serait-ce pas un peu les même gens tous ça (peu importe comment on les appelle, il se trouve que en ce moment la tendance veut qu’on les appelle geeks), ou au moins n’y aurait-il pas des recoupement à faire…Ces mêmes études disent qu'aujourd'hui on vient plutôt aux genres fantastiques par le cinéma et le jeu vidéo plutôt que par les livres, ce qui va dans le sens du mot geek.

 

Aujourd’hui je me suis rassuré via Facebook. En fait une de mes théories c’est que on a beau faire, on a beau dire que la culture geek se « mainstreamise » c'est-à-dire perd de sa spécificité en se diluant dans le grand public, il reste des signes qui ne trompent pas. Ces signes peuvent être un degré de « fanitude », certes aujourd’hui tout le monde connais l’imagerie du Seigneur des Anneaux œuvre emblématique de la culture geek contemporaine (ce sont d’ailleurs les premiers geeks, bon ok utilisons un autre mot, étudiants en sciences dures et fans de comics et de jeu de rôles, dans les années 60/70 qui ont popularisé le livre un peu passé inaperçu avant) mais les vrais fans auront un rapport beaucoup plus fort à l'oeuvre. Un autre signe peut-être certaines œuvres ayant échappé au grand public, trop geeks quoi. Il en reste énormément, bien sûr, le grand public n’est pas encore prêt par exemple à lire de la science-fiction ou de la fantasy, du moins les grand classiques, donc ce de côté les lecteurs de Dune et de Fondation sont tranquilles. Il y a aussi des œuvres vraiment destinées à un public de niche et assez difficiles d’accès (mais ça peut changer, je croyais que Watchmen était dans ce cas et le film sort bientôt). En ce moment, pour moi une œuvre qui fait bien geek, c’est Battlestar Galactica (j’aurai pu prendre Lost mais au début Lost a touché un public assez large que la série à ensuite perdu en se « geekifiant » mais il en reste encore un peu). 

 

C’est une série qui passe sur une chaîne du câble américain, qui n’est pas très facile d’accès, pleine de métaphore politique, de combats spatiaux, et de codes propres au genre. Une série assez sombre, bref, une série qui aura du mal à plaire à un grand public en dehors des geeks (euh je veux dire des fans de mondes fantastiques, peu importe le support, frak !). Une série donc que j’appellerai distinctive, ou œuvre marqueur identitaire, c'est-à-dire qu’elle suffit en elle-même pour signifier une appartenance (il peut y avoir des exceptions bien évidemment). Tout ça pour dire que je me suis amusé a vérifier (de manière totalement non scientifique disons le bien, plus comme un jeu) mon approche, et mes théories et le fait que utilisation du mot geek ou non, les pratiques que le terme recouvre ne sont pas uniquement construites par le terme mais sont vérifiables. J’ai donc fait une recherche sur Facebook, en mettant comme critère la ville de Lyon (pour limiter et éventuellement repérer des gens intéressants à contacter), et le fait d’aimer la série Battlestar Galactica.

 

Le résultat fut édifiant, à chaque fois que je me trouve trop stéréotypé dans ma recherche j’ai un truc qui me rappelle que les stéréotype s’ils sont à relativiser, ne sortent pas non plus de nulle part. Et bien là , ce fut cette recherche. Première surprise, j’avais des amis communs avec plusieurs des premiers résultats (forcément j’avais interviewé un pote du type en question qui depuis m’avait ajouté sur le réseau). Je clique sur le premier profil ouvert qui n’est pas dans mon réseau étendu donc, et j’observe. Un garçon, 25 ans, fan de Big Bang Theory, Stargate, ou Kaamelott pour les séries.  De Batman, Hot Fuzz, Dark City, ou Matrix pour les films. Membre du fan club des « Chuck Norris Facts » (je vous renvoie à mon article sur les figures ringardes de films d’actions de séries B chères aux geeks). Je passe sur le reste, il correspond totalement aux critères communément admis (je dis ça pour bien repréciser que ce n’est pas moi qui les ai décidés même si mon discours participe à les construire) de l’identité et du stéréotype du geek tel qu’il est entendu depuis allez disons cinq ou six ans et tel que cela à explosé dans les médias depuis Suck My Geek (on atteint des sommets en ce moment puisque je suis même demandé à la télévision… n’importe quoi !). Je ne vais pas vous faire le portrait de tous les gens qui étaient dans les résultats de la recherche parce que franchement c’est tellement stéréotypé qu’on me dira que je les ai inventés (je me suis amusé à faire des prédiction, ça marche très bien aussi) donc vous pouvez faire l‘expérience ! Moi je vous laisse je vais envoyer des mails à des gens pour leur proposer une interview (combien on parie que le plupart se voient comme des geeks ?)…à suivre

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M
<br /> Moi perso, je pense que le côté nerd est beaucoup plus vrai.<br /> Enfin je veux dire par là que, quand on résume la "geekitude" à être fan de SF ou d'heroic-fantasy, je me sens pas geek du tout, mais quand être geek c'est être quelqu'un d'acharné qui passe des<br /> heures sur son ordinateur, qui lit/joue(vg)/regarde beaucoup, peu importe ses goûts, alors le terme me convient parfaitement.<br /> Et je dis ça alors que j'aime la SF et l'heroic fantasy bien sûr, c'est pas la question. C'est juste que je viendrai pas le crier, jmef, j'aime ce que j'aime, quoi.<br /> Et puis, la culture geek commence à devenir vraiment hype, et ça aussi c'est un peu gênant, puisque pour moi être geek c'est aussi appartenir à une culture underground... alors je dis pas que les<br /> geek peuvent pas devenir une majorité, je pense juste que "underground" entre dans la définition, et le jour où les geek seront hype, alors la culture geek continuera d'exister en souterrain sous<br /> un autre nom.<br /> (et puis c'est vrai qu'y a toujours la vieille habitude d'avoir l'impression qu'on nous vole notre culture, mais bon, c'pas spécialement important... c'est juste que le jour où on verra des lolcats<br /> dans les pubs à la télé ce sera bien marrant, mais assez déconcertant... C'est un peu comme "Dolly's song" si vous vous en souvenez, qui reprenait le meme de loituma girl(que vous connaissez<br /> surement) et qui est pas mal passé à la télé. Bref, déconcertant quoi)<br /> <br /> <br />
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J
Bon j'ai quand même lu jusqu'au bout même si c'était interdit et comme d'hab très bon texte.<br /> Pour ma part le terme geek a vraiment émergé avec le reportage "suck my geek". Même si il était présent avant, il avait moins de poids à mes yeux et je ne m'identifiai à aucune case sociologique même si aujourd'hui je me qualifierai de Geek du dimanche (les gout du geek sans le mode de vie).<br /> Chose amusante, dans mon travail, le mot geek est pratiquement inconnu de tout mes collègues et soulève des sourcils d'incrédulité des que j'en parle.<br /> Médiatiquement la chose auquel on va nous associer désormais risque fort de ressembler au Cyprien d'Eli Semoun, comme une impression de retour en arrière, nous voila revenu à l'image du Nerds. D'ailleurs il faudrait presque faire un sujet entier sur le film Cyprien mais il faudrait que je commence par aller le voir :(
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T
Arf, et merde, je suis un geek...^^
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