L'aventure de la réalité :

Publié le par David

 

 

« Thomas, j’ai le regret de vous dire que pour vous l’aventure s’arrête ici ». Ceci est une phrase que nous entendons régulièrement à la télévision depuis six ans. Depuis le choc fracassant du Loft, jusqu'à l’île de la tentation, en passant par la Star Academy toutes les émissions de télé réalité sont qualifiées par les producteurs et candidats d’ « aventures ». Ce terme n’est évidemment pas anodin et induit une forte connotation et pourtant personne n’a semble-t-il relevé ce qu’implique cette utilisation outrancière. Oui outrancière, jamais ou presque vous n’entendrez le mot émission pour qualifier ces nouvelles formes télévisuelles. Parfois, timidement, généralement dans la presse écrite un présentateur ou un producteur de la firme crée par John De Mol (Endemol comme son nom l’indique unique créateur du genre) utilise le vocable programme.

 

 

 

Le problème avec émission où programme est que tout ceci est du vocabulaire télévisuel, et la télévision c’est mal. Utiliser ces mots c’est avouer que tout ceci est fait pour la télévision, donc que tout ceci est mis en scène, filmé, marqueté, ciblé, bref bien préparé. Or dans télé réalité il n’y a  réalité et parler de programme manque un peu de piment, parait trop formaté. Imaginons la scène un instant. Nous somme fin décembre vers 23h30 et Nikos Aliagas annonce le nom du gagnant de la nouvelle Starac. Voici ce qu’il dirait (avec sous titres entre crochets) :

 

 

 

« Alors je voudrais remercier tout d’abord notre huissier Maître Trucmuche qui m’appore l’enveloppe contenant le nom du gagnant,  maître Trucmuche du cabinet machin, 9 rue de la poste, 15ième arrondissement, Paris numéro de téléphone 01 99 99 99 99, ne pas appeler entre midi et 15 heure [Donc là Nikos gagne du temps parce que dans l’oreillette on lui dit qu’il faut ménager le suspens, je vous passe le moment ou il demande si le fils de l’huissier fait bien ses nuits] Je vous rappelle donc que les votes sont clos, donc n’envoyez plus de Sms [ils le sont depuis une demi-heure mais avant on l’avait annoncé plus timidement précédemment histoire de continuer à accumuler un peu] On m’annonce que les résultats ont été extrêmement serrés [Oui Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte on longuement hésité avant de décider qui ils allaient faire gagner] C’est donc…Machine qui gagne L’émission Star Academy !

 

Tout sonnait juste non ? Enfin presque, la fin ne vous semblait pas un peu étrange ? Moi si, cela aurait été plus réaliste si Nikos annonçait « C’est donc… Machine qui gagne l’AVENTURE Star Academy ». C’est tellement plus beau l’aventure. Ce terme foisonne dans la télévision contemporaine.

 

 

 L’aventure, cela évoque l’épique, les combats, l’épopée. Lorsque nous vivons une aventure, nous avons la garantie de ne pas nous ennuyer, de vivre dans l’imprévu, dans l’improvisation totale, bref tout le contraire de la télévision. Et justement c’est le meilleur moyen pour les producteurs de créer une autre réalité que celle du petit écran. Le terme aventure est donc entourée de toute une aura qui nous évoque les grands films hollywoodiens, les romans picaresques et autres explorateurs. Nous avons en tête les Aventuriers de l’arche perdue, mais aussi Marco Polo Magellan ou l’injustement méconnu James Cook. Si l’on tape le mot aventure sur google le résultat est éloquent. Nous avons des agences de voyages qui nous proposent d’aller au bout du monde faire du trekking, ou des parcs d’attraction (dans ce cas l’aventure est fausse mais un peu plus réelle que celle de la télévision).

           

Un deuxième sens d’aventure est celui de parcours. On nous parle d’aventure pour décrire le parcours réussie d’autodidactes partis de la rue pour créer une entreprise aujourd’hui florissante, ou de sportifs nés dans une cité pour aujourd’hui vivre dans une villa monégasque. C’est l’aventure Microsoft ou l’aventure Zidane. Mais là encore on est pas loin du sens précédent, l’aventure reste une épopée de laquelle on ressort transformé. Les risques pris sont moins importants que ceux auxquels se confrontaient les découvreurs mais la métaphore est compréhensible car elle s’inscrit dans un parcours de vie hors du commun.

 

Parce que c’est cela l’aventure, ce qui n’est pas habituel ce qui est extra ordinaire, dans le dictionnaire c’est « Ce qui advient dans le temps, généralement à un individu ou à un groupe d'individus, d'une manière plus ou moins imprévue ou normalement imprévisible ». On retrouve aussi cela dans l’aventure amoureuse, une plongée dans le mystère de la rencontre et dans l’inconnu de l’autre. L’autre est donc vu ici comme un territoire que l’on découvre, que l’on explore, la métaphore est encore filée.

 

Cette métaphore du moment où tout peut arriver où toutes les péripéties sont possibles est ancrée dans notre imaginaire collectif. Et la télévision se sert de cela pour créer un état d’esprit et une attente que chaque spectateur (et moi le premier, je ne veux pas tomber dans le biais de celui qui sait tandis que la masse est dupe) à soif de combler. Et tout dans la mise en scène des émissions de télé réalité joue sur cette métaphore de l’aventure, le montage rapide, les effets de lumière et la musique empruntée aux films épiques (combien de fois ais-je entendu la musique de Pirates des Caraïbes ?). Nous sommes dans ce que le défunt Jean Baudrillard nommait un simulacre. Un simulacre pour faire simple c’est une imitation de la réalité qui imite une autre imitation et cela se construit sans fin jusqu'à une perte de repère total. Le simulacre n’est donc pas une copie de la réalité, mais une copie d’une copie dont la réalité se perd ou est extrêmement rare. Ainsi pour prendre un exmple, déjà à leur époque les grand aventuriers explorateurs étaient loin d’être la majorité de la population, mais ils ont crée des mythes qui perdurent par le cinéma, la littérature et de là dans l’imaginaire collectif. Nous avons donc en tête une image de l'aventure qui n'est finalement qu'une simulation d'une lointaine réalité vécue par un nombre infime d'individus. Et la télé réalité nous fait croire que cette aventure perdue, mais que nous n’avons finalement jamais véritablement vécue est à notre portée. L’aventure télévisuelle est formatée, encadrée et donc rassurante. Nous savons que nous aurons notre dose de surprise mais nous savons aussi que l’imprévu est sous contrôle et donc que les débordements seront limités.

 

 

 

 

Parler d’aventures plutôt que d’émissions, ou de programmes est donc un vocabulaire idéal pour les producteurs qui s’approprient tout un imaginaire simulé et continuent la simulation. On voit là pourquoi la théorie de Baudrillard est la référence principale du film Matrix. En effet dans ce film les machines créent un monde virtuel pour contrôler l’humanité. Mais ce n’est pas un monde idyllique, parfait, c’est un monde comme le notre, qui comporte sa dose d’imprévu et d’aléatoire mais le programme (informatique et non télévisuel cette fois) empêche que les choses aillent trop loin. Utiliser le mot aventure permet donc de nous faire croire que nous sortons du monde télévisuel formaté et de notre quotidien terne, c’est un euphémisme, pour parler rhétorique, c'est-à-dire un moyen détourné, d’adoucir une situation. Non vous ne regardez pas une émission de télévision mais une aventure, un moment intense, inattendu, cela va vous secouer, vous remuer, vous allez être haletant ! Heureusement durant la publicité un grand nombre de produits permettant d’aller mieux vous seront présentés, c’est tout de même beau l’aventure... à suivre

 

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